Je suis en retard

Je suis en retard. Je consulte avec espoir ma montre pour la 3e fois en 1 minute. Je m’aperçois que malgré mes intentions, mes suggestions et la puissance de mon regard, le temps n’a pas ralenti sa course et les aiguilles affichent impitoyablement mon désastre. Je suis en retard. Pourtant, j’avais pris des précautions pour éviter cette situation. Je suis en retard. J’ai échangé des insultes avec mon corps qui refusait de porter avec élégance les vêtements que je lui destinais. Je ne lui ai pas caché mon mépris, il a répondu en me renvoyant dans le miroir une image horrible avec ma jupe noire. Je suis en retard. J’ai perdu 15 minutes à repasser une robe qui finalement ne m’a pas convaincue. Je suis en retard. A bout de forces, j’ai enfilé un pantalon trop étroit et un chemisier bleu après avoir signé un armistice avec mon corps. Je suis en retard. Mes cheveux ont refusé de se laisser discipliner et chaque mèche a préféré chanter son propre concerto au lieu de participer à la symphonie commune que je souhaitais composer. Je suis en retard. Je ressemble au lapin blanc de « Alice aux pays des merveilles » qui regarde frénétiquement sa montre et galope. Je suis en retard et la pluie a décidé de s’inviter dans mon existence. J’arrive enfin sur mon lieu de rendez-vous mais le parking est rempli, je dois trouver une place ailleurs. Oups, ma voiture glisse dans le rond-point inondé mais l’esprit de Schumacher a dû m’envahir car j’évite de justesse une collision avec un camion. Je suis en retard. Dans les situations critiques je développe des qualités et des compétences inattendues. Je me gare enfin après avoir effectué un éblouissant créneau. Je suis en retard. Je cours, je cours tout en franchissant telle une adepte du triple saut les flaques d’eau sur mon chemin. Je suis en retard. Je tente de rester digne et imperturbable même si mes escarpins mouillés me font déraper et j’attrape au vol la lourde poignée de la porte d’entrée. Je suis en retard. Il est 15h35. J’avais rendez-vous à 15h30. J’ai 5 minutes de retard. C’est terrible, je suis convoquée par mon conseiller Pôle Emploi et je suis en retard !

Je signale ma présence à l’accueil, on m’annonce qu’Il va venir me chercher dans quelques instants. Je m’assoie. Je suis nerveuse. J’observe les autres qui patientent dans leur coin. Ils ont l’air détendu, eux. Je suis sûre qu’ils ont un autre conseiller que le mien, eux. Je vérifie mon téléphone. Très bien, il est déjà en mode silencieux. Je jette un œil à l’état de mes chaussures boueuses. Trop tard pour arranger les dégâts de la pluie.

Mais où est-Il ? Mais que fait-Il ?

Mon niveau de stress s’élève d’un cran quand j’entends la voix de mon conseiller au loin. Il arrive. Soudain, l’air s’éclipse, les autres personnes s’effacent de mon champ de vision, l’univers cesse d’exister. Je suis dans cet état à chaque convocation avec lui. J’essaie d’avaler ma salive, je prends conscience de ma respiration et de mes pieds au sol. Je récite des mantras, je visualise des paysages apaisants, j’imagine des petits anges autour de moi qui me sourient. Hélas, aucune méthode n’est efficace pour m’offrir une sécurisante détente. Je me soulève fébrilement et m’avance vers lui. Il me tend la main avec un sourire qui m’achève.

• Comment allez-vous Mademoiselle F. ? Je vous attendais plus tôt !

C’est terrible… Mon conseiller Pôle Emploi est un playboy indécemment attirant et désespérant de séduction ! Je suis en retard, je suis en retard, j’ai perdu 5 minutes en compagnie de sa savoureuse présence.

(2e partie de cet entretien avec mon conseiller Pôle Emploi jeudi prochain)