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Entretien avec un playboy- Je suis en retard (suite et fin)

Publié le par Diane F

  • Comment allez-vous Mademoiselle F. ? Je vous attendais plus tôt !
  • Veuillez m’excuser pour mon retard.

Je n’ai pas trouvé de réponse plus brillante à lui offrir. Quelques secondes plus tard, installée devant son bureau, je retrouve un peu de contenance.

  • J’ai amené la nouvelle version de mon CV suite à vos précédentes recommandations, dis-je en fouillant mon sac.

Il attend patiemment. Par chance, je retrouve le document avant qu’il ne baisse les yeux vers le terrifiant cloaque régnant dans mes affaires.

  • Je vous félicite, ce CV est bien fait. Puis-je le conserver ?

Je souris telle une petite fille à qui on vient d’offrir le cadeau de ses rêves. Il prend quelques instants pour lire. Je l’observe à la dérobée. Ses traits fins, sa façon de se concentrer, ses yeux sombres, son index qui glisse sur ses lèvres, sa position élégante sur son siège, ses mains à la fois puissantes et fines, sa coiffure parfaitement coupée… Tout n’est qu’invitation au rêve « là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté » aurait pu dire Baudelaire.

  • C’est vraiment le type de CV qui donne envie d’avoir quelqu’un comme vous à ses côtés ! me lance-t-il.

Je le remercie tout en m’interrogeant sur la signification de « à ses cotés » pour lui. Il pose délicatement mon CV et continue :

  • Où en êtes-vous dans vos recherches ?

Une petite étincelle de malice pétille en moi, il parle bien de « recherches » d’emploi et non de « recherches » amoureuses ? Dans ce dernier cas je n’aurais rien à lui présenter et rien ne s’opposerait à ce qu’il m’apporte son secours dans ce domaine… Mais je me concentre à nouveau.

  • Un instant, j’ai préparé un document résumant mes démarches !

Et je replonge dans l’espace abyssal de mon sac. Cette fois-ci, je me révèle plus efficace et j’en ressors fièrement un tableau fait sur Excel détaillant les offres pour lesquelles j’ai postulé, mon St Graal.

  • Décidément, vous me réservez de belles surprises aujourd’hui ! Vous êtes l’une des rares personnes dotée d’un tel sens de l’organisation pour rechercher un emploi. Vous êtes un vrai modèle !

A nouveau mon sourire de petite fille gâtée fleurit sur mon visage rosissant. Cependant, il ne prête pas trop attention aux détails du tableau et je sens que c’est à mon tour de me lancer.

  • Serait-il possible que j’accède à une formation ?
  • Laquelle ?
  • Une formation en informatique.

Il fronce les sourcils et demande :

  • Vous aimez vraiment l’informatique ? Les formations que nous proposons sont difficiles et réservées à des spécialistes. Vous aimez vraiment cela ? Il serait dommage que vous suiviez une formation qui ne vous convienne pas.

J’adore cet homme ! J’entends souvent dire que Pôle Emploi dirige les chômeurs vers des formations « impasses » pour faire mentir les chiffres du chômage, mon Conseiller n’applique visiblement pas cette politique. De plus, il connaît les mots qui touchent en moi la corde sensible : qu’ai-je vraiment envie de faire ? Mon entourage m’incitait avec insistance à devenir informaticienne en prétextant une forte demande pour cette activité. Or, moi, Diane F, ai-je le souhait profond de travailler dans ce secteur professionnel ? Je voulais faire plaisir aux autres, mais étais-je une graine de programmeuse maniant avec agilité les algorithmes et les langues binaires ?

La vérité ne pouvait plus se dérober à moi : en dehors du profond désir d’être un écrivain, je ne pouvais pas déterminer d’autres directions professionnelles. Ainsi, je décidai d’être honnête et de laisser glisser le masque de celle qui contrôle tout et qui sait ce qu’elle veut.

  • En fait, pour tout vous avouer, je suis un peu perdue en ce moment et je ne vois pas où me diriger.

Je jouai la carte de la franchise mais je gardai mes réserves quant à mes désirs d’écriture et mes projets de roman.

  • Existe-t-il des actions pour m’aider clarifier ma situation et définir un projet ?

Je baissai les yeux. J’avais la sensation que mon capital séduction venait de perdre 10 points. Quel homme normalement constitué pouvait être attiré par « Miss Paumée 2013 » ?

Il devait s’attendre à ma demande car il enchaina aussitôt :

  • Il existe effectivement une action nommée Cap Pro. Je peux vous inscrire maintenant et vous recevrez une convocation dans quelques jours.

Ses explications sur l’action se révélaient plus que laconiques mais je décidai de lui faire confiance, de toute façon je n’avais pas vraiment le luxe de refuser sa proposition. Alors que j’acquiesçai, il posa ses mains sur son clavier et se concentra sur l’écran de son ordinateur. A nouveau, je me perdis dans la contemplation de cet homme, portrait vivant issu du pinceau d’un Maître de l’Art. Plus je l’observais, plus cette conclusion me parut évidente : mon Conseiller Pôle Emploi était l’incarnation masculine du nombre d’or, son visage étant l’exemple des proportions parfaites. Les petites fées s’étaient penchées sur son berceau en lui offrant tous les cadeaux qu’elles avaient refusés à d’autres.

  • Avez-vous d’autres questions ?

Ma créativité étant en berne, je n’avais pas d’idées lumineuses pour prolonger notre entretien sans faire chuter plus bas encore mon capital séduction. Interprétant mon silence, le playboy continua :

  • Je reste à votre disposition par e-mail si besoin. Vous appartenez à la catégorie des personnes autonomes avec lesquelles je ne vois pas la nécessité de me perdre en conseils et assistance. Je vous enverrai prochainement le compte-rendu de l’entretien de ce jour.

Son message était limpide. Il m’invitait poliment à prendre congé. Je ne l’intéressais pas.

  • Mademoiselle, bon courage, dit-il en se levant et en tendant la main vers moi.
  • Quand serais-je convoquée pour un autre entretien ? demandai-je, encore assise, en lui serrant la main. Je jetai ma dernière carte avec lui.
  • Je ne sais pas encore, je suis débordé… Il parut soudain embarrassé.

Je me suis alors sentie honteuse. Pourquoi avais-je posé cette question digne d’une groupie devant son groupe de rock préféré ? Pourquoi avais-je tant besoin d’insister et de connaître la date de notre prochain rendez-vous ? J’étais pitoyable… Or, la vie m’envoya un petit clin d’œil.

  • Je suis débordé mais c’est toujours un plaisir de vous recevoir, Mademoiselle F, je me réjouis par avance de notre prochaine rencontre !

Il laissait entrevoir une lueur, une faible mais bien réelle lueur. Tout devenait plus léger. Il m’adressa un dernier sourire et je le quittai en me concentrant sur mon allure pour que mes escarpins encore humides et glissants ne m’ôtent pas mon peu de dignité. Lorsque j’atteignis ma voiture je regardai au loin le bâtiment de Pôle Emploi. Ce lieu est terrible pour moi. Je le hais et je l’adore en même temps. Ce lieu me rappelle ma triste condition de chômeuse, mais il abrite aussi celui que j’ai plaisir à voir.

Moi, Diane F, rmiste et célibataire à 34 ans, je me dis parfois qu’être au chômage a des bons côtés…

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